« Le Système du monde est humain
Mais je sais moi qu’il est divin »
Franz Schubert, 1820
Nul autre compositeur plus que Schubert ne nous convoque autant au mystère de l’écriture musicale. Comment de si simples conventions graphiques peuvent-elles suggérer autant de mouvements, des plus puissants aux plus délicats, et par quel miracle ceux-ci restent-ils encore de nos jours aussi vifs ? Je ne parle pas ici ni de la joie ni du désespoir, ce dernier traditionnellement associé à Schubert, tant je suis persuadé que l’ensemble de son oeuvre est tourné vers la lumière, l’acceptation et la réconciliation. Si Schubert nous laisse construire un rêve sublime, il nous plonge souvent dans la douloureuse impossibilité de réaliser les moments d’extraordinaire beauté que sa musique renferme. Paradis inatteignables, impossible accession à la beauté, nous devenons alors l’objet même de l’étrange texte écrit en 1822 par le compositeur : « Mein Traum ». Vient donc la question de la légitimité et des choix qui président à l’interprétation en concert de ces chefs-d’oeuvre, et bien naturellement de l’attitude devant l’exigeant exercice de l’enregistrement qui devra, lui, supporter l’épreuve de la réécoute.
Disparaître afin de laisser parler cette musique de notre condition d’hommes, mieux que nous ne pourrons jamais le faire, de l’indicible question de l’amour, de l’amitié et de la vie. Disparaître en parcourant inlassablement l’oeuvre vocale de Schubert, sa musique de chambre, comprendre comment et pourquoi la voix, non pas celle de l’opéra, mais celle plus universelle de la chanson, est seule à l’origine de son immense inspiration. Effacer les contingences du jeu instrumental, piano ou cordes, se pliant sans concession au flot continu d’un discours dont la puissance et finalement l’autorité nous emportent vers des régions insoupçonnées. Pas plus l’instrument que la forme ne sont une fin, même dans le corpus si idiomatique des impromptus et des plus brillantes fantaisies. Par-dessus tout il est essentiel de faire le lien entre l’actuel irrépressible engouement populaire pour l’oeuvre de Schubert et la tangible émotion, voire la stupeur, dans laquelle cette musique, dès sa création, a plongé ses contemporains, pour comprendre à quel point sa force reste subversive par la pure beauté et les questionnements qu’elle nous impose, et ce depuis la triste période de la Vienne autoritaire de Metternich jusqu’à nos jours. Musique libre de toute contrainte, née de la formidable inspiration d’un compositeur de génie qui sut vivre libre.
Denis Pascal
SHUBERT - Denis Pascal - Sonate D. 960, Sonate D. 784
Sonate n°23 en si bémol majeur D.960
1. Molto moderato – 21’03
2. Andante sostenuto – 9’43
3. Scherzo – 3’56
4. Allegro, ma non troppo – 8’23
Sonate n°16 en la mineur D.784, op. posthume 143
5. Allegro giusto – 12’47
6. Andante – 4’08
7. Allegro vivace – 5’02
Extraits en écoute.