SHUBERT volume 2
S’il est un mystère dans la vie d’un interprète c’est bien celui de son attachement à certaines oeuvres, celles qu’il a lues très jeune puis à différents moments de sa vie, surpris d’y reconnaître une partie de lui-même, ou du moins une résonance familière, une partie de ses préoccupations imaginée par un autre : le mystère des solitudes partagées. Ces oeuvres ensuite jouées, deviennent alors un remède aux questions qui le taraudent, une réponse rassurante, comme l’est toujours la musique de Schubert même dans ses plus sombres abîmes, une réponse toujours liée à l’insaisissable vide de l’intime et au désir fou de plénitude. Réponse répétée car elle prend alors une place particulière tout au long de notre vie de musicien et d’homme. Ces oeuvres deviennent alors notre compagnon de route, « le chant du voyageur », notre « petite musique intérieure », et pour ce programme en particulier, la sonate D. 959 et les impromptus op. 90, une évocation obsessionnelle de la fuite du temps, de l’impossibilité à se réaliser, à saisir un peu de notre vie, comme l’eau du ruisseau, comme l’amour.
Apercevoir une part de nous-mêmes chez Schubert, c’est le lire sans peur, de coeur à coeur, en oubliant qu’il s’agit d’un chef d’oeuvre. Découvrir Schubert c’est savoir d’abord ignorer son nom.
Mystère de la lecture et de l’écriture : même l’implacable et bouleversant Andantino de la sonate D. 959 ne ternit jamais la « lumière bleue de cristal léger » dont parle W. Muller et qui nimbe toute l’oeuvre. Il est pourtant ferment de l’insondable Andante sostenuto de la toute dernière sonate D. 960… Il y a comme un écho du quintette D. 667 : La Truite, l’étincelante tonalité de La Majeur n’y a jamais été aussi lumineuse, transparente, évoquant aussi bien le doux murmure de l’eau que l’amertume des larmes, de la pluie, d’un ciel d’orage, l’effrayante simplicité des éléments et l’inéluctable écoulement vers la dissolution.
Un mystère persiste : celui de la joie qui rayonne de cette musique, de la lumière que diffuse l’oeuvre de Schubert toujours plus forte, ainsi que l’accomplissement personnel que l’on éprouve à la jouer, une joie que le compositeur d’oeuvres aussi bouleversantes et mélancoliques que le Voyage d’Hiver ou de La Belle Meunière ne cesse de nous offrir.
Elle est bien l’objet de l’écriture et de l’interprétation schubertienne : la création transcendant le doute, la souffrance amoureuse et l’absurdité de la disparition ou de l’abandon.
La musique chantée, celle des lieder, montre clairement à l’interprète l’identification nécessaire à un personnage : la relation explicite de la musique à la poésie ou au drame, le choix d’un motif donnant une nouvelle perspective au texte suscitent encore de nouvelles interrogations, soit des voies possibles d’interprétation. L’oeuvre sans parole, purement instrumentale, nous invite à un plus complexe et mystérieux voyage qui, lui, nous pousse à ouvrir notre imaginaire et à continuellement multiplier et superposer des référents à la fois personnels, intimes et liés à la vie de Schubert, ou tout simplement les référents des idiomes instrumentaux, notamment dans les impromptus op. 90.
S’il en est un qui reste, terrible et simple, aimable et cruel, tout au long de ces pièces et de la sonate D. 959, c’est le motif du triolet. Son mouvement lent ou rapide n’est plus celui de la Tarentelle ou celui d’une antique danse, ni même celui des tempêtes beethovéniennes, mais bien celui paisible du ruisseau, du temps, doux et implacable : flux infini emportant à la fois nos joies et nos tristesses et finalement balayant toutes nos questions et nos doutes. Tout passe.
Denis Pascal
SHUBERT vol.2 - Denis Pascal
Sonate D. 959, Impromptus D. 899
Sonate n° 20 en la majeur D. 959
1. Allegro – 16’08
2. Andantino – 8’16
3. Scherzo, Allegro vivace – 5’00
4. Rondo, Allegretto – 12’35
Quatre impromptus D. 899, op. 90
5. Impromptu n° 1 en ut mineur (Allegro molto moderato) – 9’49
6. Impromptu n° 2 en mi bémol majeur (Allegro) – 5’07
7. Impromptu n° 3 en sol bémol majeur (Andante) – 6’13
8. Impromptu n° 4 en la bémol majeur (Allegretto) – 8’03
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